Le bruit de ses talons résonne dans le hall, alors qu'elle vient de passer les portes de l'agence. On ne fait pas attention à elle, et elle ne fait attention à personne. Ces couloirs voient sans doute défiler des dizaines de mannequins et autres stylistes en une journée, elle n'a donc pas plus d'importance qu'un autre. Janell pourrait en être contrariée, mais elle sait que les regards ne se lèveront sur son passage seulement lorsqu'elle l'aura mérité. Les miracles n'existaient pas, et seul un travail acharné lui permettrait d'atteindre les sommets. Le travail, accompagné d'un peu de chance, sans doute. Le milieu du mannequinat n'était composé que de requins, aux dents particulièrement longues et aiguisées : on y survivait qu'en apprenant soi-même à mordre. Tout n'était qu'hypocrisie, mensonge et trahison. Un véritable feuilleton. Dans ses instants les plus cyniques, elle voyait le monde du mannequinat comme le reflet de l'humanité. Mais elle effaçait bien vite ces pensées, et laissait un sourire en coin orner ses lèvres. On ne vivait plus vraiment, lorsque toutes nos pensées étaient si noires et dénuées d'optimisme, et loin d'elle le désir de stagner lorsqu'elle avait tant à conquérir ! Le monde entier, pourquoi pas. Pour elle qui était née dans une petite fermer du Texas, être là où elle était aujourd'hui était déjà un miracle en soit, elle ne doutait donc pas qu'elle pouvait encore aller bien plus loin, jusqu'à rendre sa famille plus fière qu'elle ne pourrait jamais l'être. Car si elle travaillait tant, ce n'était pas uniquement pour la gloire et sa photo dans les magazines de mode, comme tout son entourage le pensait. C'était avant tout pour tout ceux qu'elle avait laissé là-bas, et qu'elle n'avait revu qu'une fois depuis. Elle n'avait plus vraiment le temps disait-elle, en vérité, c'était surtout l'envie qui lui manquait. Oh, elle aimait encore tendrement ses frères et ses parents mais... un champs de blé ne pouvait rivaliser avec les plages de Miami. Elle avait changé, forcément, n'était plus la petite fille simple qu'elle avait été, qu'on avait aimé. Ses propres frères ne savaient plus vraiment comment lui parler, et d'ailleurs, c'était réciproque. Janell se mordit la lèvre inférieure, alors qu'elle s'empressait de chasser ces nouvelles pensées. Elle devait être plus stressée qu'elle le pensait, pour se mettre à ruminer ainsi, sans raison apparente. Sans grande difficulté, elle trouva finalement la salle où elle était attendue. Nul besoin de retouches : elle se savait parfaite.

D'autres filles étaient là, certaines assises, d'autres debout près de la fenêtre. La nervosité était palpable. On se jaugeait, on échangeait des regards mauvais, moqueurs, ou faussement chaleureux. Son arrivée provoque quelques émois : elle avait sa petite renommée, et même sans cela, elle représentait une chance de moins d'être choisie. Janell ne s'en faisait pas. Si elle avait acceptée de se présenter ici, c'était uniquement parce-qu'elle n'avait rien d'autre à faire, et parce-que son agent lui avait certifié que cela ne pourrait faire que du bien à sa carrière. Elle prit place sur un des sièges disposés là, et attendit, sans montrer le moindre signe d'impatience ou d'appréhension. Lors du premier entretien, elle semblait avoir fait un effet tel que l'assistant du styliste avait bien manqué défaillir. L'insolence qui se dégageait de tout son être marquait toujours les esprits, et elle avait appris à en jouer depuis bien longtemps. Les mauvaises langues la qualifiait de vulgaire. Elle n'en avait que faire : si elle était vulgaire, alors comment pourrait-on appeler les autres filles présentent dans la pièce ? Elle se sentait presque insultée d'avoir été choisie parmi elles. Elle eut un sourire en coin, s'adossa à la chaise et croisa ses longues jambes, impatiente de rencontrer ce styliste dont on lui avait tant vanté les mérites. Elle ne connaissait pas son nom, ne se souvenait pas d'avoir jamais vu une de ses créations. Il était encore jeune, mais on disait déjà qu'il était plein de promesses et qu'un avenir brillant s'ouvrait devant lui. Elle avait hâte de voir ça de ses propres yeux... en tous les cas, au vu de l'attente qu'on leur imposait, il possédait déjà tous les traits de caractères des stylistes les plus en vue. L'arrogance devait se lire dans ses yeux. Tant mieux. Si on ne se conduisait pas en loup, alors il n'y avait aucune chance qu'on puisse survivre dans un tel milieu. Une porte s'ouvrit soudain, et l'archétype de l'assistant qu'elle avait déjà rencontré apparu. Plus effémine, on ne fait pas. Elle le trouvait ridicule et mourrait d'envie de le lui signifier. Son regard se porta immédiatement sur elle, et il sourit en lui tendant la main. « Mademoiselle Sowards, nous vous attendions. » Janell sourit, se leva et suivit l'assistant jusqu'à un autre bureau, où il frappa. La voix qui lui répondit la surprit : elle était, sans doute possible, féminine. Sans qu'elle sache pourquoi, elle s'était persuadée de trouver là un homme. On ouvrit la porte, on la fit entrer, mais elle eut bien du mal à conserver son sourire lorsqu'elle vit qui était assis là. Sa mâchoire se crispa, et elle ne dit pas un mot alors qu'on les présentait.

« Es-tu sûr de toi ? »
« Je t’assure. Il faut absolument que tu la vois… Elle est parrrrfaite ! »
« Aaron… »
« Ok, j’arrête de rouler les r… »
« Tu es un cliché ambulant mon cher. »
« Avoue que tu aimes ça ! »
« Quel est son nom ? » répliqua C.J en changeant de sujet. Elle avait du pain sur la planche, pas question de rêvasser trop longtemps. Elle entendit un soupir à l’autre bout du fil et son assistant raccrocha. C.J rangea son portable dans son sac en marmonnant. Si Aaron refusait de lui dire le nom du soi-disant extraordinaire mannequin qu’il avait débauché. C’était que la jeune femme avait du faire forte impression. Et C.J pressa le pas en se rendant sur son lieu de travail pour la journée. La jeune femme aimait beaucoup marcher et il lui arrivait de faire des kilomètres en talons sans ressentir la moindre fatigue. Un « mental de warrior » comme disait son père.

La blonde arriva rapidement à l’agence et salua les personnes présentes avant de se rendre dans le bureau qui lui avait été attribué depuis deux semaines qu’elle avait commençait les castings pour sa nouvelle collection. Comme à son habitude, C.J repassa en revue chaque vêtement présent sur chaque portant afin de vérifier qu’aucun dégât n’avait été causé depuis sa précédente visite. Après un petit tour d’inspection, elle s’installa enfin à son bureau et prépara ses petites fiches pour faire des annotations sur les modèles qu’elle allait rencontrer aujourd’hui. Peu avait attiré son attention et la jeune Capulet n’en avait sélectionné que trois pour le moment. Elle demandait le meilleur et peu lui avait donné satisfaction.

« C.J ? » entendit-elle alors que la porte s’entrouvrait, laissant apparaître un Aaron visiblement excitée. La styliste lui fit un simple signe de la main pour lui dire qu’ils pouvaient commencer. Le jeune homme sourit et entra.

« Elle est parfaite ! »
« J’espère pour toi… » dit-elle. C.J redoutait de ne pas trouver la vedette, celle qui représenterait la marque dans toute sa splendeur pour la nouvelle collection et les défilés à venir. La blonde était toujours plus exigeante avec les filles et si cela ne tenait qu’à elle, elle représenterait sa marque toute seule. Mais il ne fallait pas être égoïste et C.J avait assez de boulot comme ça.

« Va chercher ta merveille. Autant débuter avec elle. »

Aaron ne se fit pas prier et partit en dandinant des fesses sous le regard amusé de Joann. Elle l’aimait beaucoup, le jeune homme avait dix ans de plus qu’elle et une grande expérience dans le métier mais chaque fois qu’elle le voyait, C.J ne pouvait s’empêcher de penser à un dessin-animé. C’était un cliché total du gay efféminé au grand damn de certains. Mais C.J ne pensa pas plus longtemps à son assistant et se redressa lorsque les bruits de pas se rapprochèrent. Elle intima d’entrer lorsque trois coups se firent entendre.

Elle s’apprêtait à sourire mais se fut une grimace qui se peignit sur son visage de poupée. Ce n’était point professionnel mais C.J ne pouvait s’en empêcher. Comment réagir quand la petite amie de l’homme convoité se tenait devant vous ? C.J pensa un instant à lui écraser le crâne avec ses chaussures mais elle les aimait trop pour les abimer. Elle afficha alors un sourire de circonstance, bien décidée à montrer qui était le patron ici. Lorsqu’Aaron revient s’asseoir à côté d’elle, la blonde le fusilla du regard.

« Rappelle-moi de ne pas te payer ce mois-ci… » persifla C.J à voix basse, juste assez pour que seul X l’entende et pas Janell. « Bien. Nous pouvons commencer. Votre nom ? Vos mensurations ? » ajouta t-elle alors que toutes ses informations se trouvaient déjà sur la fiche que lui tendait timidement Aaron. Mais C.J n’en eu que faire et froissa fermement le petit bout de papier avant de le jeter sur un coin du bureau.