Cela faisait bientot une heure que Rose était enfermée dans sa chambre. Elle entendait sa famille et les femmes de ménage ou major d'homme s'affairer partout dans l'appartement du dessus, celui des parents de Juliet, sans esquisser le moindre mouvement. Rose était confortablement instalée dans un fauteuil et lisait l'un de ses manuels de cours sur la littérature du XXème siècle. Elle n'éprouvait pas la moindre envie de se joindre à la liesse ambiante. Plus tôt dans la soirée, elle avait prévenu sa famille qu'elle ne serait pas de la fête de ce soir. L'annuel Bal des Capulet l'ennuyait grandement. Jamais elle ne s'était jointe à la fête et la dépravation autorisée pour une soirée. Elle ne savait jamais comment agir avec toute sa famille, et le fait de savoir que ce soir serait en plus une soirée déguisée ne lui donnait certainement pas plus envie.

Lorsqu'elle avait du l'annoncer à son père, celui-ci avait eu l'air déçue, et la jeune femme s'était fait rage pour ne pas céder juste pour lui. Elle détestait voir son père triste plus que n'importe quoi d'autre, et savoir qu'elle pouvait être à l'origine du moindre petit malaise l'insupportait. Cependant, il la rassura bien vite en retrouvant le sourire et en lui souhaitant une bonne soirée à elle aussi. Depuis, elle était tranquillement installée dans sa chambre. Elle s'en voulait légèrement de laisser Juliet affronter la débauche de ses parents seule ce soir, mais elle savait que Tybalt serait présent, ainsi que sa soeur CJ, Darren et Temperance. Et puis, la fête se déroulant dans ses appartements, elle pourrait aisément s'eclipser.

Son esprit s'était évadé de son livre de littérature pour suivre le fil de ses pensées depuis de longues minutes déjà, et ses yeux suivaient la courbe des lignes noirs de son livre sans en saisir une once de sens. La jeune femme se retrouva d'autant plus perturbée dans sa lecture lorsqu'elle entendit la porte de la chambre voisine claquer violemment et elle reconnu, sans mal aucun, la démarche de tornade de sa soeur qui semblait s'être ruée sur son armoire personnelle. Rose soupira d'agacement. Ce ne serait pas aujourd'hui qu'elle pourrait tranquillement profiter d'une journée de repos. Elle hésita quelques secondes et décida de se rendre dans la bibliothèque publique de Verona Beach afin d'être plus tranquille. Elle finissait d'enfiler ses sandales en cuir lorsque sa porte s'ouvrit et vint s'écraser contre le mur, laissant dans son cadre apparaître sa soeur contrariée.

- Hors de question que tu ne viennes pas au Bal ce soir.
- CJ, inutile d'insister, papa m'a donné son accord, et je n'ai rien à faire dans ce genre de fête. Maintenant, si tu veux bien... Je vais à la Bibliothèque.

L'ainée Capulet n'avait écouté que d'une oreille la conversation qui avait eu lieu entre son père et sa sœur ce soir-là, pour tout dire, elle n'en avait rien à faire. Sa sœur pouvait se teindre les cheveux en bleus ou porter une mini-jupe que C.J n'aurait rien remarqué, et de toute façon c'était totalement improbable. Sauf si la mini blonde avait fumé six ou sept joints avant, ce qui était encore plus impossible. C.J avait toujours trouvé sa sœur invisible et les épreuves qui s'étaient abattues sur elles n'avaient fait que marquer la rupture qui s'était faite entre elles, au détriment du patriarche qui rêvait toujours de voir les deux femmes de sa vie s'enlacer ou quelconque autre truc qu'aurait du faire deux sœurs ensembles. Lorsque William Capulet était venu s'affaler sur le canapé d'un air las, C.J n'avait fait qu'hausser un sourcil indiquant clairement à son père un « Je te l'avais dit... » et ce dernier émit un grognement de mécontentement. Il voulait tellement que Rosaline s'intègre un peu plus à leur société et soit moins en retrait. C.J ferma le magazine de mode qu'elle feuilletait avant de se lever. Il était temps pour elle d'agir, ne serait-ce que pour montrer à son père comment il fallait agir avec la cadette. C.J haussa les épaules et un regard de défi à son père. Un échange souvent silencieux entre les deux. Ils se comprenaient. William haussa lui aussi les épaules et alluma la télé tandis que C.J marchait d'un pas décidé vers la chambre de sa sœur. Sa chambre étant voisine de celle de Rosaline, C.J prit soin de claquer violemment la porte de cette dernière pour signifier à sa sœur qu'il n'y avait pas moyen de répliquer. C'était un jeu permanent entre elle ce claquage de porte et il avait déjà fallut à de nombreuses reprises changer les jointures.

« Hors de question que tu ne viennes pas au Bal ce soir. »
« CJ, inutile d'insister, papa m'a donné son accord, et je n'ai rien à faire dans ce genre de fête. Maintenant, si tu veux bien... Je vais à la Bibliothèque. »
« Chaque année tu fais le même coup ! » fulmina C.J en bloquant délibérément le passage à sa petite sœur. Celle-ci la regarda sans rien dire et l’ainée s’avança en prenant le livre que Rosaline tenait entre ses mains avant de le jeter sur le lit. C.J n'était pas une grande fan des lectures de sa sœur, pas qu'elle soit illettrée, mais elle ne comprenait pas l'attrait de Rosaline pour les romans à l'eau de rose. L'ainée était plutôt penché magazine de mode ce qui marquait encore leurs nombreuses différences. Joann avait parfois l'impression que Rosie sortait tout droit d'un de ses livres qu'elle aimait tant, ne vivant pas réellement dans son temps et pour aujourd'hui, C.J avait envie que cela change.

« Maintenant, tu t’assois et tu me laisses faire. Tu crois réellement que je vais te laisser partir. T’es plus une gamine, Rosie… » soupira t-elle alors que pour le moment, c’était elle qui faisait son caprice.

« Et puis, il y aura plein de beaux gosses, je suis persuadée que ça va te plaire. » C’était bien la première fois que C.J essayait de convaincre sa sœur pour qu’elle vienne au bal. D’habitude, l’ainée n’en avait que faire et se fichait pas mal de ce que pouvait bien faire Rosaline ce soir-là. Mais cette fois devait être la fois de trop et Joann ne voulait pas voir sa sœur s’enfuir. Elle allait venir, qu’il faille la trainer par la peau des fesses ou non. La blonde ne ménagea pas sa cadette et la poussa pour qu'elle puisse accéder à son armoire qu'elle ouvrit d'un coup avant de regarder les rangées d'habits d'un air songeur. Visiblement sa soeur était assez abasourdie par cette situation et C.J pointa un doigt accusateur vers elle.

« Ne t'avise pas de franchir le seuil sinon je te coupe les jambes. »

- Chaque année tu fais le même coup !

De toute évidence, le volcan était en pleine ébullition aujourd'hui et rien ne pourrait arrêter sa soeur. Rosaline laissa échapper un soupir de désespoir. Rien n'arrêtait jamais sa soeur quand elle avait une idée en tête, pire qu'un boulet de canon, elle pouvait tout détruire sur son passage. Qui plus est, Rose savait pertinemment qu'elle n'était pas assez solide pour résister, et qu'elle céderait tôt ou tard. Autant éviter les coups et les bleus. Cependant, Rose devait admettre qu'elle était réellement surprise d'être l'objet d'une telle résolution de la part de sa soeur. Pendant longtemps, elle avait assisté en temps que spectatrice aux caprices à répétition de sa soeur, se jurant intérieurement de ne jamais agir comme elle, et de se faire la plus petite possible afin de ne pas finir par épuiser ses parents à la tâche.

Ce soir là, aussi mécontente que pouvait être Rose à l'idée que sa soeur la prenne pour cible, elle était secrètement soulagée que cela donne du répit à son père. Il n'aurait peut être pas à supporter le comportement difficile à suivre de son aînée, si elle s'acharnait sur Rose. La jeune femme savait également qu'elle avait tendance à exagérer, à chaque fois que cela concernait son père et son bien-être, et elle se doutait que la compagnie de sa fille aînée devait plus relever du bonheur qu'autre chose, mais elle l'avait vu tant de fois être surmené et dépassé par les réactions de C.J. qu'elle préférait tout faire pour lui éviter le moindre désagrément. Et si elle disait non maintenant, c'était forcément sur son père que tout cela retomberait à un moment ou un autre. Rose avait bien conscience d'exagérer et sa protection, et la conduite de sa soeur, mais elle n'avait pas encore trouvé d'autre moyen de lui en vouloir pour son comportement.

- Maintenant, tu t’assois et tu me laisses faire. Tu crois réellement que je vais te laisser partir. T’es plus une gamine, Rosie…

Rose commenca par lever les yeux au ciel, excédée. Elle ne se permetait ce genre de comportement qu'avec sa soeur, bien trop respectueuse pour l'infliger à qui que ce soit d'autre. Qui plus est, elle détestait quand sa soeur se montrait aussi butée et aveugle. Cependant, comme souvent, elle ne lui fit par remarquer, mais refusa cependant de s'assoir, et se tint droite, devant sa chaise en attendant le verdict de son aînée. Elle voulait bien capituler, mais elle n'était pas non plus prête à se faire écraser totalement.

- Et puis, il y aura plein de beaux gosses, je suis persuadée que ça va te plaire.

Rose ouvrit de grands yeux ronds. Depuis combien de temps sa soeur était resté enfermée dans sa bulle de futilités pour ne même pas s'être apperçu que les garçons étaient plus que la dernière des préoccupation de sa jeune soeur ? Quant à lui plaire, on en était loin... Déjà que la jeune femme paniquait à l'idée de se retrouver avec toute sa famille et de finir comme d'ordinaire dans un coin reculé avant de s'eclipser en se sentant de plus en plus insignifiante et inutile, elle n'allait pas non plus aller à l'avant des problèmes en s'intéressant à des gens qui ne feraient que l'ignorer. Le seul beau garçon qu'elle aurait aimé voir ce soir en costume était le plus hautain et froid d'entre eux. Et complétement innacessible et obsedé par sa soeur dès qu'elle était dans les parages. Comme tout le monde.

Rose sortit de ses pensées lorsque sa soeur la bouscula légèrement pour accéder à son placard, bien moins impressionnant que le sien, qui se trouvait dans la chambre voisine. La jeune femme observa ses vêtements voler les uns après les autres dans la pièce sans comprendre.

- Ne t'avise pas de franchir le seuil sinon je te coupe les jambes.

Rose soupira encore devant la théâtralité de toute la mise en scène de sa soeur, et décida que finalement, elle ferait mieux de reprendre son livre pendant que son aînée s'exciterait avec les fringues, chose qu'elle adorait par dessus tout. De toute façon, si Rose devait aller à cette fête, elle se fichait complétement du déguisement. Sa soeur allait sans doute lui sortir un truc insipide. Ce n'était pas le genre de C.J. de faire briller les gens autours d'elle, elle attirait trop la lumière pour ça. Dans un soupir, la plus jeune se laissa retomber dans son fauteuil et se replongea dans sa lecture sans prêter attention à sa soeur.

De longues minutes après, alors que C.J. avait effectué de nombreux allers-retour entre sa chambre et celle de Rose, d'une part pour aller fouiller dans son armoire à elle, constatant que celle de Rosaline était d'une banalité effarante, et d'autre part pour venir observer sa soeur sous toutes les coutures, se permettant parfois de passer sa main dans ses cheveux pour voir leur longeur, ou tirant sur l'étiquette au dos de ses vêtements pour regarder sa taille. Rose se laissa faire presque sans broncher, captivée par d'autres choses, et lorsque C.J. sembla enfin avoir terminer, elle lui fit comprendre en arrachant son livre des mains et en se plantant devant elle.

- Cela n'a franchement pas été facile, mais je crois avoir trouvé.